Texte Critique

Amel FERHAT-JENKINS  historienne de l’Art

Formé à l’école des beaux-arts d’Alger par les grands noms de la peinture algérienne contemporaine.

Zouhir boudjema est un peintre plasticien algérien qui appartient à la génération d’artistes post 1988. Il vit et travaille en France depuis 2001
Artiste aux qualités exceptionnelles, zouhir se démarque par sa très grande maîtrise technique et par la pertinence de ses recherches plastiques. Cela se traduit essentiellement par l’utilisation d’une variété impressionnante de supports (toile, bois et papier) et par le recours systématique aux techniques picturales les plus diverses (gouache, acrylique et huile.

Après une brève période figurative, zouhir évolua rapidement vers l’abstrait

Rendu célèbre avec sa série de couples qu’il réalisa dans les années 90, il s’orienta vers une abstraction « expressive » dépouillée de tout contenu réaliste.

C’est ainsi qu’il va progressivement opter pour une construction de l’espace par juxtaposition de trois plans verticaux et/ou horizontaux.

Cette composition lui permet d’accentuer la Bi-dimensionnalité de la toile mais aussi de construire son espace selon un agencement rythmé, par zones triparties, à la façon des triptyques, créant ainsi un espace original et unifié grâce à l’utilisation du blanc comme fond. L’usage du blanc,Une non couleur, produit des œuvres très intéressantes sur le plan de la construction spatiale; utilisé comme un capteur de couleurs, ce fond immaculé, fait rejaillir les touches colorées réparties sur la toile tout en dégageant une luminosité intense qui aère en profondeur la composition.

Parfois, le blanc est remplacé par le doré, à la manière de la peinture byzantine et arabe, pour suggérer l’intemporalité. Ce parti pris de l’artiste de toujours exploiter la surface plane de la toile, s’inscrit dans la droite ligne de la peinture abstraite algérienne. En effet, celle-ci, s’est élaborée à partir des années 30 selon un mode de reconstruction de l’espace contrairement à la peinture abstraite européenne qui elle, s’est développée, à partir d’une déconstruction de l’espace comme le démontre le mouvement cubiste.

Ces compositions tripartites sont rythmées par une riche palette de couleurs secondaires et complémentaires. Les touches colorées, disposées obliquement, sont généralement concentrées sur un plan précis de la toile. Leur fort pouvoir expressif, dégage une intense énergie qui nous plonge dans un monde où règne un chaos structuré et équilibré.

C’est cette forte dualité qu’exprime zouhir à travers son œuvre.

Toute la puissance de sa peinture, réside dans sa capacité à nous suggérer un ordre fragile, en permanence menacé par des forces qui semblent difficilement se contenir.

Dans ces dernières œuvres, zouhir a introduit différentes matières comme la filasse et le sable pour d’avantage matérialiser cette dualité des forces contraires qui dominent ses recherches plastiques. Cette nouvelle orientation a pour effet d ‘approfondir l’espace en créant un illusionnisme fort inquiétant.

Christiane ACHOUR  enseignante et critique littéraire

Dans une atmosphère tamisée par des tons de gris, un couple pris de tristesse et d’enfermement. Quelque chose s’exprima d’une difficulté à vivre, à respirer. Peinture et dessins évoluent d’une création à l’autre: le couple revient, disparaît. Un personnage s’impose, homme, femme? On ne sait pas. Toujours amputé, cerné avec rage en une intrication de traits apparemment désordonnés qui font apparaître parfois une chevelure, souvent des bras, rarement plus que le buste et la tête.
Toiles que l’on regarde parce qu’elles attirent, mais dont on voudrait dans le même temps se détourner parce qu’elles angoissent: la peinture de Zouhir Boudjema nous inquiète.
« Je sais, dit l’artiste, que je suis à la recherche de quelque chose. Le côté émotionnel est, pour moi, très important. Je cherche à communiquer avec moi même mais aussi à poser des interrogations. »
Zouhir Boudjema fait partie d’une nouvelle génération de peintres algériens. Tenaillé très jeune par ce désir de s’exprimer par la peinture, il a été formé par des aînés prestigieux à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts et par ses contacts personnels et choisis: impression forte laissée par ses visites à l’atelier de Mohamed Khadda: « Khadda me répétait que l’artiste apporte sa contribution en fonction de son regard d’artiste. » Influence, complicité et connivence avec Abdelwahab Mokrani dont on sent, dès les premières oeuvres, la très forte présence .

                      Mansour ABROUS historien de l’Art 

La couleur de la mémoire

Pour faire de l’histoire, il faut aller au contact des artistes peintres. Dans l’œuvre de Zouhir, le blanc est la couleur de l’oubli. Il prépare minutieusement sa toile, il griffe méticuleusement le support, il dépose de la filasse, il élimine les fissures, les béances, il colmate rigoureusement les fuites de la mémoire. Il orchestre le naufrage des colères, purge son vécu et efface la douleur de sa propre histoire.

Zouhir craint la mémoire. Elle l’incite à toujours plus de vigilance. Elle le met au défi de la réminiscence. Elle dévaste son droit au bonheur. Elle parcourt son audace et fait chanceler l’avenir. Il a fait le choix d’être en décalage avec ses condisciples, son œuvre n’est pas marketing, elle est la leçon inaugurale de l’insoumission aux codes établis.

Dans une autre vie, il aurait été un adepte du duel. A l’aube, empruntant la verve de Cyrano de Bergerac, il apostropherait les thuriféraires de l’ordre établi : « Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt! » (Une mort symbolique, il va sans dire !).

Il donne du crédit au temps pour apaiser son envie de mordre, pour ne pas être à l’écart, mais dans l’interstice de ceux qui veulent suspendre l’incohérence, le non-dit, l’impensable.

A-t-il envie de réussir sa peinture ? La question, je le concède, est absconse. Je me la pose, car Zouhir n’a de cesse de raturer son bonheur, de cultiver sa mélancolie, de biffer sa présence, mais le doute n’est-il pas cette intrigue qui cherche le peintre.

Chasseur d’épreuve, son héritage de colères l’oblige à une archéologie du deuil, à désactiver la nostalgie des luttes de jeunesse. C’est à sa façon un Romantique. Il ne capitule pas, il annonce « un printemps de la mémoire ».